Le lecteur, c’est de la porcelaine. Ah ! sa susceptibilité !

Sep 30th, 2013 | Par | Catégorie Notes & notions

Tout ça pour ça, 7 € ?

Sa facture mensuelle internet, boileau il l’a payée à la mi-août, au retour des vacances. Un peu en retard. Peu importe, on s’en fiche.
Mais voilà qu’arrive un rappel. Avec une majoration.  7 €.

– 7 € ? Et alors…
– Enfin ! ces 7 €, c’est quand même 18,5 % du montant facturé ou 5 litres de diesel ou, pour nombre de personnes, presque une heure de travail, retenues déduites.
– boileau, tu nous embêtes avec tes 7 €.
– Attendez, attendez !

 

Ce qui fout les boules

Ce qui irrite, c’est la justification de la surfacturation :
Frais négligence     7 €

 

Frais négligence ! En sus des 7 €, ce fournisseur semble qualifier le retard de son client. De la négligence…

Qu’est-ce donc un fournisseur qui juge son client ? Pour qui se prend-il ?
Voilà maintenant que l’on accuse le client d’avoir commis un acte qui témoigne que son auteur a manqué du soin, de l’attention, de l’intérêt normalement attendus.
Vous objecterez que le client est ici une société et qu’il faut entendre négligence dans son acception juridique.
Vous n’avez pas tort. Mais n’est-ce pas alors galvauder le terme juridique pour un banal retard de paiement ? On parle de négligence médicale, de négligence envers un enfant ou une personne âgée, mais ici bon Dieu !

La majorité des abonnés comprendra le terme dans son acception quotidienne. Et sera ulcérée.
– Tu es en retard de paiement ? Tu es négligent ! Et paf ! je te facture ta négligence.
– Non Madame. Je ne suis pas négligent. Je suis en retard. Et parlez-moi sur un autre ton !

 

Le lecteur, c'est de la porcelaine.

Bon. On se calme !

La règle en écriture utilitaire est de manier avec prudence tout terme semblant déprécier le destinataire du message.
A fortiori si c’est un client.
Et qu’il soit un subordonné ne change rien à l’affaire.

Un lecteur, c’est de la porcelaine. Une petite chose fragile à ménager. Un mot de travers, il se brise.

Le lecteur c’est Zorro – on l’a vu -, et Zorro il est soupe au lait.
Un note, un courriel avec un  jugement de valeur ? Le destinataire se cabre. Il s’insurge.
Piqué au vif à chaque relecture du terme qu’il considère comme infamant, il se rebelle : Hé patate ! tes frais de négligence tu peux te les carrer où je pense. Et pour çà, tu vas me compter des frais d’impolitesse ?
Et plutôt que de passer au bleu ces fichus 7 €, il est capable de téléphoner : Vous me retirez, avec vos excuses, vos frais de négligence ou je passe, illico, à la concurrence.

Votre destinataire est contraint au silence ? Vous ne perdez rien pour attendre. Dans le dos…

Vous souhaitez éviter toute perte de temps, pousser à l’action, être compris ? Le mieux est de s’en tenir à l’exposition des faits, de rester neutre. Les mots qui déprécient le lecteur sont inopportuns. Ils sont stériles. Davantage : nocifs.

Frais de retard ? L’encéphalogramme du lecteur reste quasi plat.

Et si je veux protester ?

Bien sûr, certains interlocuteurs – fournisseurs, clients ou collaborateurs – exagèrent et il faut réagir.
Mais, pour être efficace, la finesse et la délicatesse sont à privilégier. Quitte à transgresser les règles de concision et du design par l’emploi du conditionnel, d’adverbes, d’incidentes, de formulations impersonnelle ou négative.

Vos calculs sont faux >
Vos calculs ne semblent pas exacts.
Les calculs, me semble-il, sont inexacts.

Vous avez mal complété le formulaire >
Le formulaire est encore à compléter.
Il serait nécessaire de compléter le formulaire.
Le formulaire est, malheureusement, incomplet.
Nous vous remercions de compléter le formulaire. 

 Ecrire c’est se contrôler.

Bref, le lecteur, c’est de la porcelaine. Une petite chose fragile à ménager. Les mots désagréables le cassent.
Un mot négatif ? Un terme trop catégorique ? Il est détraqué.

Voici comment ménager la susceptibilité de ce lecteur en porcelaine ?

 

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photo : Actress Sylvia Field (1901-1998) who starred in the play “Broadway” in 1927. (Source: Flickr Commons project, 2012)

No known restrictions on publication. Library of Congress,

 

 

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