Le journal En Marche ! est-il lisible ?
Fév 6th, 2012 | Par boileau | Catégorie OpinionFaute de grives…
Il est bloqué par la neige dans le village de B ***, 33 âmes, où il a ses quartiers d’hiver. Impossible de descendre dans la vallée, de l’autre côté de la frontière, pour acheter un journal national.
– T’as qu’à lire En Marche.
– …
– Mais oui, ils sont empilés dans l’atelier. Nous ne sommes pas abonnés, mais nous le recevons tous les 15 jours. De 12 à 16 pages, format Libération, La Libre (Belgique). Jamais lu ? Jamais vu ?
Bon, allez, En Marche !
Il y est écrit : En Marche, dans sa version papier, est adressé à tous les membres de Wallonie et de Bruxelles de la Mutualité chrétienne. Diffusion : 460.000 exemplaires.
Et ailleurs : En tant que co-gestionnaire de l’assurance-maladie mais aussi en tant que mouvement social, la Mutualité chrétienne participe progressivement à la construction de la politique en matière de santé.
460.000 exemplaires !
Mesurons l’ampleur de ce chiffre :
– La Belgique francophone, c’est quatre millions et demi d’habitants.
– Aucun titre de la presse belge francophone ne réalise une diffusion quotidienne moyenne de 150.000 exemplaires.
460.000 exemplaires : En Marche est donc davantage diffusé – tous les 15 jours – que ne le sont quotidiennement, en France, Le Monde (323.000), Le Figaro (332.000), Libération (120 .000), L’Equipe (302.000).
Près d’un demi-million d’exemplaires : cela en fait de la pâte à papier, de l’adressage, du transport, des facteurs… Sacré budget ! Et pas de pub…
Le journal
En voici un exemplaire. D’autres sur le site En Marche, ainsi qu’en format journal, sur ISSUU.
Bon sens, orientation santé, générosité, militantisme, voilà ce qui ressort des dossiers ou éditoriaux. Par exemple : On ne spécule pas sur la santé des membres d’une mutualité, Quand l’autre boit trop , Gare à l’obsession hygiéniste, L‘huile de palme, ingrédient caché d’une mauvaise santé…
Intéressant, c’est certain. La mise en page est cependant compacte, vieillotte : ces articles pleine page, c’est désespérant de longueur. Qui a encore l’énergie de lire de tels pensums ? Après une journée de travail et une heure d’embouteillages, il n’y a pas qu’En Marche à lire : il faut préparer le repas, s’occuper des enfants, faire la lessive, se détendre un moment devant la télé…
Trop verbeux, trop d’attention requise et tant à lire ailleurs : le lecteur, infobèse, survole en zigzag puis décroche.
Il existe une version néerlandaise. Elle est plus accrocheuse.
Etouffe-chrétien
Les articles d’En Marche sont écrits par des rédacteurs experts et consciencieux. Le sujet est maîtrisé. Là n’est pas la question.
La question est En Marche est-il lu ? Est-il lisible pour le lecteur moyen ? L’essentiel est-il compris et retenu ?
Ou bien En Marche est-ce de l’étouffe-chrétien ?
Dans nos pays, selon l’OCDE, plus de 45 % de la population lit avec difficulté. Ces lecteurs sont écrasés par la longueur des textes et des phrases, la complexité de la syntaxe et du lexique, l’abstraction.
45 % ! Cela fait combien de lecteurs parmi les 460.000 abonnés à En Marche ?
Indices d’illisibilité
La lisibilité – à savoir dans quelle mesure un texte est facile à lire et à comprendre – peut être évaluée par des indices, par exemple l’indice Gunning ou l’indice Gulpease.
– Aucun de la dizaine de textes En Marche soumis à l’analyseur de Translated Labs (indice Gulpeace) n’obtient un score de lisibilité Facile.
– Un indice Gunning de 6 indique la facilité à lire, à comprendre, à retenir. Un indice supérieur à 12 signale un texte illisible pour plus de 75 % de la population. Dans En Marche, aucun article mesuré n’est inférieur à 9. Des articles atteignent les valeurs de 12, 15, parfois 16 : des indices supérieurs au journal Le Monde.
La lisibilité se fonde sur la concision, la simplicité du vocabulaire et de la syntaxe, la mise en page, bref tout ce qui favorise l’accès au texte.
Texte difficile ? Texte écarté ! Le lecteur obéit à la loi du moindre effort. Et l’abondance de l’offre lui donne le choix de ses lectures.
Ô lecteur
On écrit uniquement pour être lu. Sinon, c’est du gaspillage. Excusez l’évidence.
Bien entendu, ces indices de lisibilité peuvent être contestés. Il existe néanmoins une méthode imparable pour mesurer avec rigueur l’efficacité de la communication. Elle consiste à identifier le public cible, à constituer ensuite un panel de lecteurs et à effectuer alors des tests de lecture et de compréhension. La rédaction sera ajustée en conséquence.
Souvent, concentré sur le sujet de son article, le nez sur le guidon, le rédacteur perd de vue le destinataire du texte : son lecteur. Ce lecteur a des préoccupations et des capacités différentes des siennes – lui, l’expert rédacteur – ou de celles de ses collègues de rédaction. Pourtant ce lecteur, l’éditeur d’En Marche le désigne en disant qu’il accorde une attention prioritaire pour les plus faibles, milite pour un accès égal à des soins de santé de qualité pour tous (…).
Epluchures de patates
L’Institut national de santé publique au Québec – très en pointe sur la question – affirme que La plupart des écrits en santé sont incompréhensibles pour la majorité des gens.
En Marche est-il accessible à la majorité de ses lecteurs ?
L’argent est rare, les charges sociales sont lourdes, les temps sont durs. Combien de milliers d’exemplaires d’un bimensuel utile servent, comme chez la voisine tout à l’heure, à recueillir les épluchures de patates ?
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photos : couvertures d’En Marche disponibles sur le Web
Photo d’en-tête : Nationaal Archief van de Poll (libre de droits)
Pour approfondir :
Efficacité communicationnelle : L’évaluation de trois outils de communication grand public sur le monoxyde de carbone
Institut National de Santé publique du Québec
C’est très juste ! Je le reçois depuis toujours. Ne le lis jamais. Le survole… Parfois. Trop ennuyeux et complètement démodé.
Merci pour votre avis, Godelieve