Ecrire design, c’est épargner les néologismes à son lecteur chéri !

Mai 13th, 2012 | Par | Catégorie ° les mots

Waiting for the girl. Autosolisme, quand tu nous tiens !Je ne pense pas multimodal, je suis autosoliste. Autosolisme ?

Ce mot, vous le connaissiez ? Moi pas.
Mais nous allons de plus en plus l’entendre… A satiété.

L’autosolisme c’est le fait de circuler en automobile, seul, non accompagné. C’est son usage en solitaire.
Un dérivé : autosoliste. Un antonyme occasionnel : automultisme.

Robert, au secours !

S’ils fleurissent sur la Toile, autosolisme et autosoliste sont absents des dictionnaires dont boileau dispose. Le Trésor de la Langue française l’ignore.
Un dictionnaire militant  précise sa définition : action de se déplacer seul au volant d’une voiture, et d’encombrer, ainsi, l’espace collectif, de polluer, de faire du bruit, de stresser pour le profit d’une personne unique: le chauffeur ! 

Un quidam demande sur un forum : tiens, les couples sont-ils considérés comme de vilains individualistes autosolistes ou non ?
D’autres questions viennent à l’esprit :
– Je vais chercher mes enfants à la crèche. Suis-je autosoliste avant d’être automultiste ?
   Suis-je autosoliste à temps partiel ?
– Le cyclomotoriste  est-il cyclomotosoliste ? Et le motocycliste ? Motocyclosoliste ?
– Un kilomètre ça va ? Suis-je déjà autosoliste ? Combien de kilomètres pour bonjour les dégâts ?

On ne rigole pas !

Sur la Toile, l’autosolisme apparaît comme une maladie, une maladie honteuse, une tare.

  • Autosolisme quand tu me tiens : la maladie de l’autosolisme
  • L’autosolisme, une bien mauvaise habitude contre laquelle luttent les Verts depuis longtemps.
  •  XXX n’est pas le concurrent des transports en commun (…), il les complémente en donnant une raison de plus d’en finir avec la génération de l’autosolisme
  • un véritable changement de mentalité qui tourne le dos à cinquante ans d’autosolisme.

Mais nous serons soignés

Sur notre route veille le Bon Samaritain. Il roule parfois à vélo avec un gilet jaune fluorescent. 

  • Contrer l’autosolisme des travailleurs. Sus à l’autosolisme !
  • Les axes de désintoxication à l’autosolisme… Distribution de patchs de désintoxication à l’autosolisme.
  • Alors si vélo, scooter, bus, tramway, train et covoiturage ne font pas partie de votre univers alors l’éventualité d’un petit reengineering de votre process de déplacement est-il envisageable ?
  • Solidarités navetteurs pour sortir de l’«autosolisme».
  • Le covoiturage est une alternative efficace à l’autosolisme.
  • Nous présenterons des solutions de mobilité visant à réduire l’autosolisme et favoriser le report modal vers des solutions mutualisées, conviviales et durables.
Avec ces phraseurs, cela risque d’être douloureux…

Un néologisme barbare

En français, le suffixe mon(o)- (du grec monos) marque l’idée de seul, unique :
– monobloc, monochrome, monorail, monoplace, monogame, monologue, monocle, monothéisme, monarque…

Le préfixe poly- marque son contraire :
– polygame, polyculture, polycopier, polythéisme…
Tout comme pluri-  ou multi– :
 – pluriel, plurilingue, pluriannuel, plurivalent… Multiplicité, multiculturel, multirisque, multirécidiviste…  

Un soliste, c’est, selon le Petit Robert, un musicien ou chanteur qui exécute une partie de solo ou qui interprète une oeuvre écrite pour un seul instrument ou une seule voix. A savoir le solo.
Par extension en solo signifie seul, en solitaire : Il escalade en solo et sans filet la façade du gratte-ciel.
Je travaille seul ? Ce sera, à la rigueur, en solo. Cela ne fait pas de moi un travaillosoliste 

Utiliser – soliste (ou -solisme) comme suffixe pour marquer l’idée de seul, c’est zozo.
Autosoliste, autosolisme  sont des néologismes qui transgressent les règles de création des mots. Ce sont des barbarismes.
Monopassager, monoccupant, monoccupation, monoccupé…, sans être jolis, seraient des néologismes cohérents. Monautomobilisme ? Intéressant – en renvoyant à Mon auto ! – mais difficile

 

Autosolisme Un barbarisme bancal

D’une part, autosolisme renvoie de façon désagréable à des mots comme autisme, alcoolisme, égoïsme. Une allusion aussi aux plaisirs solitaires.
Ces mots en -isme, ils sont dangereux. Que de bêtises en leur nom !

D’autre part, soliste fait référence à la grande musique : il est connoté de façon positive, comme le sont violoniste, violoncelliste, chanteur d’opéra.
L’assemblage de connotations positive et négative moulent un néologisme bancal.
Bref, l’un dans l’autre, ce mot est contre-productif.

 

Et comme cela ne coûte rien

Tant qu’à faire de nouveaux mots sont lancés et définis :

  • Intermodalité : combinaison d’au moins deux modes de transport sur un même déplacement, dont au moins l’un des modes est alternatif à la voiture particulière.
  • Report modal : correspond à la masse d’individus qui pratiquent habituellement l’autosolisme (voiture ou moto seuls) et qui, le jour de la mesure ont utilisé un mode de transport alternatif.
  • Multimodal : Un plan est appelé « multimodal » quand il indique comment accéder à vos bâtiments via les différents modes de déplacement : à pied, à vélo, en métro, en tram, en bus, en train et en voiture. (…) Pensez également « multimodal » pour encourager votre personnel à utiliser les transports publics

Tambours-majors

Ce type de vocabulaire et son utilisation crispent ceux qu’il faudrait convaincre. C’est du jargon, variété pédant. C’est l’âge de bronze de la communication.

De toute évidence, le tout automobile est une plaie. Qui ne serait pas d’accord ? Là n’est pas le débat.
Mais si nous convenions de ceci ?

Je crois défendre une cause juste. Je vais y consacrer beaucoup d’heures.
Alors, il serait judicieux de consacrer le temps nécessaire à choisir les mots adéquats.
Les mots sont les tambours-majors des causes à défendre : il faut les recruter bien constitués.
Avec les mots que j’utilise, mes interlocuteurs doivent se sentir respectés, sans être dévalorisés ou infantilisés.

Convenons aussi de ceci :

Avant d’en créer de nouveaux, vérifions la pertinence des mots existants. Voyons d’abord si nous n’avons rien en stock au magasin lexical. Un tout simple auto en solo ? Par exemple.

Auto en solo : Joséphine, ma voisine, me chuchote :
«Et plutôt que covoiturage  – prononcer [covoiturache] on pourrait dire auto en choeur ! »

Oooh ! un baiser Joséphine. Je vois déjà l’affiche de promotion et son slogan à l’entrée des villes du Royaume !

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photo : © eb Waiting for the girl.
<clic> et la photo est plus belle.
photo :  Chevrolet at General Motors, Petone, 1930 National Library NZ

 

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2 commentaires to “Ecrire design, c’est épargner les néologismes à son lecteur chéri !”

  1. Le cycliste dit :

    J’avais pensé à “monovoiturage”, pour contraster avec le populaire “covoiturage”, mais cela évoque plutôt l’utilisation d’une seule voiture. Le mieux serait “solovoiturage”, dans la même veine, déjà utilisé… 5 fois sur le Web en aout 2012, contre une vingtaine pour monovoiturage.

    • Etienne B. dit :

      Oui, les variations autour de -voiturage me semblent préférables. Merci pour vos suggestions et lecture attentive.

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