Renard et robinet, sandow et chatterton

Déc 10th, 2013 | Par | Catégorie ~ Etymologie
boileau.pro

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Vagabonder

Etudier l’origine et l’histoire des mots, c’est vagabonder dans le temps. Dans cette aventure, les rencontres sont étonnantes.
– Euh… boileau, tu ne serais pas hors sujet ? On ne voit pas bien là le rapport entre l’étymologie et le design en écriture.

Oui, oui. Mais boileau croit que beaucoup de mots – et d’expressions – sont des objets précieux, des bijoux. En montrer toutes les facettes, les faire scintiller  favorisent l’amour des mots.
Et quand on aime les mots, on repousse alors les barbares et les boursouflés.  L’écriture s’allège et file droit au but. Bref, l’amour des mots – et pour les aimer, il faut mieux les connaitre – mène au design en écriture.

Vagabondons et dans la forêts des mots, voilà, surpris, le renard.

L’animal, il a changé de nom

Le renard ne s’est pas toujours appelé renard.
En ancien français, on parlait de volpil, goupil. Cette appellation, qui s’est maintenue jusqu’au XVIIsiècle, dérive du bas latin vulpiculus, mot lui-même dérivé du latin classique vulpecula, petit renard, diminutif de vulpes, renard. De façon plus précise que les dictionnaires étymologiques Larousse et Clédat, le rédacteur de l’article Renard sur Wikipédia explique que “Le latin vulpēs est issu de l’indo-européen commun *(H)ulp-i-, qui est continué par l’avestique urupi (martre) et le lituanien vilpišỹs  (chat sauvage), ainsi que par des formes dérivées comme le persan rubâh (روباه)  (renard) et le sanskrit lopāśá (chacal)”
On quitte les Ardennes, là !

– Et le rapport goupil – renard, je vous prie ?
On y vient…

Phénomène linguistique

En français, comme dans d’autres langues, certains noms communs ont pour origine le patronyme d’une personne, souvent l’inventeur ou le découvreur de la chose désignée. Cette personne peut être aussi un personnage mythologique ou littéraire.
En linguistique, ce phénomène de création de nom commun ou de substitution à un nom auparavant utilisé se nomme antonomase.

Quelques exemples d’antonomase ?

  • François Barrême,  mathématicien du XVIIe siècle,  vit toujours dans le mot barème. Ce mot est  apparu au XIXe siècle, l’accent circonflexe et un R ayant disparu dans l’opération.
  • Louis de Béchameil (1630-1703), maître d’hôtel de Louis XIV, serait le créateur de la béchamel ou sauce béchamel.
  • John M. Browning a inventé le pistolet automatique, le browning.
  • Chatterton a mis au point en 1860 un ruban adhésif isolant, le chatterton.
  • Pantalon,  du prénom italien Pantaleone, est un personnage de la commedia dell’arte . Son habillement a donné son nom au pantalon.
  • Eugène Poubelle, préfet de Paris au XIXe siècle, instaura les poubelles pour les déchets de ses administrés.
  • Eugen Sandow,  le père du culturisme, utilisait un appareillage avec des lanières de caoutchouc pour se faire une beauté. Le sandow est né.
  • Atlas, géant de la mythologie grec condamné à porter le monde sur les épaules, vit toujours dans les recueils de cartes géographiques, les atlas.

Le nom donné aux unités de mesure porte souvent le nom des scientifiques les ayant identifiées : ampère, faraday, gauss, hertz,  newton, ohm, pascal, watt…
Il en est de même en botanique : Michel Bégon a donné son nom au bégonia, Alexander Garden au gardénia, Pierre Magnol au magnolia

Malin comme Renart

Dans nos régions, au XIIe siècle, des récits écrits par différents auteurs et récités par des jongleurs ont enthousiasmé la population.
Pleins de malice et de pittoresque, ils mettent en scène le loup Ysengrin et surtout le goupil Renart. Cet ensemble disparate de récits est connu sous le nom de Roman de Renart. Ce nom Renart  provient du germanique Raginhart (ragin, conseil et hart, fort).
Rusé, Renart joue des tours au loup, aux autres animaux et aux humains.
Par antonomase, vu sa personnalité et sa célébrité – les gens disaient “malin comme Renart” -,  le prénom du héros s’est substitué peu à peu à goupil. Et, au milieu du XVIe siècle, renart deviendra renard.

Cette substitution, au nom commun préexistant, d’un prénom – plutôt que du nom propre –  est peu fréquente. Un autre cas amusant est celui de robinet.

A la claire fontaine

Monsieur Robinet n’a jamais existé. Au Moyen Âge, Robin était le prénom dont était affublé le mouton (voir Médor ou Mirza pour le chien).
Plus tard, Rabelais dira dans Pantagruel : Vous avez nom Robin mouton ; voyez ce mouton-là, il a nom Robin comme vous .
Et La Fontaine  (Fabl. IX, 19) : Ils m’ont laissé ravir notre pauvre Robin, Robin mouton, qui par la ville Me suivait pour un peu de pain (source  Université de Chicago)

On y arrive : auparavant, aux fontaines, l’eau jaillissait d’un embout souvent ouvragé en tête de mouton. Robin.
Le robinet allait ainsi naître au XIIe siècle par antonomase.

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D’autres exemples d’antonomases

photo : © eb

 

 

 

 

 

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