Cri de guerre

Quand la trompette sonnait la charge, Murat, à cheval, debout sur ses étriers, épée brandie, hurlait à ses cuirassiers : Mon cul est rond, rond comme une pomme ! Et à la tête de ses hommes, sous les balles de l’ennemi,  il lançait la charge de la cavalerie.
Ses mots et son audace boutaient le feu à la bravoure des cavaliers. Son panache forçait l’admiration des cosaques russes.

L’expérience du sublime

C’est Simon Leys qui rapporte ce cri de guerre, lu chez Mérimée qui le tenait de Stendhal.
Mon cul est rond, rond comme une pomme !
Huit mots, huit syllabes. Concision, simplicité.
Des mots idiots. Annoncez-vous ainsi, pour voir, en montant dans une rame de métro bondée…
Des mots grandioses, quand ils sont hurlés sous le feu, à l’instant de risquer l’essentiel. Pomme, cul rond et la mort.
Un cri sublime car empli de terreur, d’extase, de choc. Tout l’être ébranlé.

«Les mots sont par nature neutres et indifférents. C’est de leur contexte qu’ils tirent le plus vif et le plus dru de leur charge émotionnelle. » explique Leys dans Le Bonheur des petits poissons. Murat l’avait compris. Magnifiés par l’extravagance de leur général, les cuirassiers fondent sur l’ennemi au galop et au mépris de la mort.

Un nègre sourd et aveugle

Il n’y a nulle perversion dans le dictionnaire, elle est tout entière dans les esprits, et ce sont ceux-ci qu’il faudrait réformer.
Oui, les mots sont, par nature, neutres. Par nature, ils ne sont ni vulgaires ni haineux
Pourquoi ne pas écrire, avec respect, aveugle et sourd plutôt que les tarabiscotés mal-voyant et mal-entendant ?
Et puisqu’on parle de tarabiscoté : usager faible pour piéton…
Nègre ? Il est vrai que, malgré les efforts d’Aimé Césaire et de Senghor, le substantif  reste encore inutilisable. Trop chargé d’histoire.

Inventer des périphrases et déclarer tabou tel ou tel mot ne résout pas le machisme, le racisme ou l’irrespect.
Et pourquoi donc ajouter un e féminisant à des mots comme  professeur, auteur et écrivain ? N’est-ce pas manquer de bon sens – linguistique, entre autres – que de distinguer un sexe dans les mots ? Jacqueline de Romilly, linguiste et helléniste, académicienne, se revendiquait écrivain et auteur. Professeur aussi.  A la Sorbonne et au Collège de France. Nul besoin du e pour s’affirmer.
Quand les hommes ne peuvent changer les choses, alors ils changent les mots. (Jaurès)

Insignifiance révélée

Autre chose encore. Un des rares articles, sur la Toile, mentionnant le cri de guerre de Murat  propose
l’exercice de l’antonyme, révélateur d’insignifiance.

Voici : voulez-vous traquer l’insignifiance, mesurer la force ou la justesse d’un slogan, d’une formule, d’un titre d’article, d’un conseil ?
Ecrivez donc en-dessous le titre ou le conseil inverse.
Et comparez. Soupeser la différence de poids entre l’original et son inversé. Des deux formulations, laquelle a le plus de force ?
Si l’inversée a plus de corps, interroge et attire davantage l’attention, alors il est préférable soit de réviser la formulation initiale – afin qu’elle accroche davantage – soit de se taire pour éviter de proférer une vacuité.

Là, vous m’ intéressez. 

A quoi bon écrire : Notre entreprise est en progression constante et engrange les succès. Quel ennui, ces phrases rabâchées !
L’inverse serait : Notre entreprise connait des échecs et ratages. Tiens ! C’est déjà plus intéressant. Expliquez donc.
Oui en 2011, l’entreprise a progressé mais nous avons échoué dans tel et tel projet. Trop gros pour nous. Et mal piloté. Nous en avons néanmoins tiré les leçons : des collaborateurs ont été formés au travail en équipe, les trous dans le suivi de projet ont été identifiés et nos objectifs ont été délimités avec plus de clarté.
C’est plus dense, moins convenu : voilà l’attention éveillée.

Ensemble, tout devient possible ! 

Murat aurait-il galvanisé ses cuirassiers d’un La France Forte,  Le changement, c’est maintenant ou d’un Ensemble, tout devient possible !
Inversez donc ces slogans pour en mesurer la consistance… Mon Dieu !

Où se trouve donc le cul rond pour affronter ces années de crise et pour, par exemple, redonner la foi en le rêve européen ?

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Révision et réédition d’un article d’avril 2012

photo : © eb 
<clic> et la photo est plus belle. Merci Es* !

Murat, par François Gérard. ©cosmovisions.com 412 × 500 – .

* Joachim MURAT   1767-1815
– MARÉCHAL DE L’EMPIRE
– GRAND-AMIRAL DE L’EMPIRE
– PRINCE IMPÉRIAL
– GRAND-DUC DE CLÈVES ET DE BERG
– MEMBRE DE LA CONFÉDÉRATION DU RHIN
– ROI DE NAPLES

* Le cri de guerre de Murat est peu référencé sur Google. Aucun dictionnaire de citations ne le reprend. Ouf pour la fraîcheur !
Il est rapporté par Simon Leys dans son Le Bonheur des petits poissons : Lettres des Antipodes paru en janvier 2008 chez  JC Lattès.
J’y reviendrai. Un esprit libre.
* Sur la Toile, un article plagie Leys avec un incroyable culot. Honte à ce minable qui s’approprie ainsi les phrases et les réflexions d’un auteur, sans le citer.