Les ophtalmologues sont-ils des guignols ?

Sep 9th, 2011 | Par | Catégorie Notes & notions

Affolée.

A peine la cinquantaine, fringante et sportive, mais affolée au téléphone : depuis hier soir, sa vision, de l’œil droit, est entachée de filaments, de corps flottants ; et dans le noir, elle est striée de brefs éclairs.
– Non, je ne connais pas d’ophtalmologue urgentiste. Et, puis, c’est dimanche avant la rentrée. Oui, je vais chercher des explications sur Google. Et calme-toi. Et j’enverrai ce que j’ai trouvé : être informé, c’est déjà reprendre le contrôle.

Sur Google, oeil corps flottant éclairs : les cinq premières références – trouvées lors de la rédaction de cet article –  renvoient à des sites d’informations ophtalmologiques pour le grand public. Constituent-ils une information pertinente répondant aux questions de Marie : Qu’est-ce qui m’arrive ? Est-ce grave ? Que dois-je faire ?

 

1. Le site de tête, daté de 2000, un site anglo-francophone

Un extrait : Les taches, les corps flottants et les éclairs lumineux sont tous des phénomènes intimement liés au fonctionnement et au cycle vital de cette merveille qu’est l’œil interne. (…)
Ce qu’il y a de fascinant à propos de ces éclairs, c’est qu’ils se produisent uniquement dans notre tête!. Ils sont générés par les nerfs de la rétine au moment où le corps vitré s’en détache et s’y frotte. Le cerveau perçoit de la « lumière » parce que ses photorécepteurs (récepteurs de la lumière) sont stimulés, mais en réalité, aucune lumière n’est présente. (…) Presque tout le monde finit par voir des éclairs en vieillissant. Certains éclairs sont provoqués par des spasmes des vaisseaux sanguins et peuvent se produire à tout âge. Dans tous les cas, ils se présentent sous la forme d’éclairs droits ou zébrés, d’étoiles filantes, de points blancs fugitifs ou de brillantes explosions de lumière.
Le rédacteur est un expert. De l’oeil… Mais les  informations sont répétées, désordonnées, tantôt vagues tantôt contradictoires. Le lecteur se perd dans cette littérature.
Le rédacteur s’est-il fait relire ? Mais non ! défauts de structure, tics de langage (tous.. tout …)…
Il se soucie de son lecteur mais de façon maladroite et paternaliste. La vulgarisation est pataude : la rétine (là où nous « voyons »).
Par ailleurs, les mots merveille, fascinant et ailleurs jeu d’ombre et de lumière, drôles de taches vont agacer Marie alors qu’il n’existe aucun traitement fiable.
Longue conclusion sur la découverte de nombreux secrets de l’œil (due) à la curiosité d’un médecin hollandais, Frans Cornelis Donders …Tout çà à cause de quelques petites taches! (sic).  Marie, cela va l’énerver.

Contenu de professionnel, communication de dilettante.

Bon, il faut trouver mieux. On continue.

2. En 2009- 2011, l’Association des optométristes du Québec expliquait sur son site

(2013 : la page a été enlevée mais est reprise par la Clinique d’Optométrie des Iles)
Que sont les flashes ?
Les flashes sont des sensations de lumière, quand aucune lumière n’est vraiment là.  Ils peuvent apparaître autant de lumières lumineuses minuscules  ou comme des portions d’éclairs dans le ciel.
Les flashes peuvent se produire quand l’humeur vitrée tire sur ou déchire la rétine.  Ces flashes ne durent habituellement que durant une seconde seulement ou presque, mais typiquement se apparaissent à plusieurs reprises. (…)

Certains individus avec des maux de tête ou des migraines peuvent éprouver un type différent de flash.  Celles-ci vont habituellement avoir un mouvement de pulsation ou la lumière aura des distorsions qui sont présentes constamment pendant une période de quinze minutes ou environ. Elles apparaissent typiquement au centre de votre champ visuel et progressent lentement vers les bords du champ visuel.

Texto. Moi pas comprendre. Etonnant habituellement que durant une seconde seulement ou presque.
Le texte in extenso contient beaucoup d’informations, mais c’est un texte que personne n’a relu avant sa publication, pas même le rédacteur. Est-ce de la traduction automatique ?
L’association des optométristes est négligente et myope concernant ses publications Internet. Quelle image publique ! Sont-ce des guignols ? Marie confierait-elle ses yeux à l’un d’entre eux ?

3. Voyons maintenant les explications du Syndicat National des Ophtalmologistes de France :

Un spécialiste explique en quelques lignes ce que sont les Corps flottants :
– vocabulaire spécialisé ou peu courant,
– renvois à d’autres articles, de valeur scientifique certaine mais non pertinents pour le lecteur moyen,
– pas de contact établi avec le lecteur concerné.

Le rédacteur ne vise peut-être pas le grand public, mais d’autres spécialistes ou ses étudiants.
C’est son droit. Mais, comme d’autres articles du site sont destinés à ce lecteur moyen, il y a ambiguïté.
Ce site  n’a pas une ligne éditoriale claire.

4. Retour au Canada, à la Société canadienne d’ophtalmologie

Le site proposait avant 2013 un document PDF de 4 pages. Remarquable ! Mais pourquoi donc a-t-il disparu ?
Titre : Corps flottants et éclairs de lumière. Sont-ils sérieux ?
 

Télécharger (PDF, 147KB)


On en conviendra : c’est la question que Marie se pose.

Cette question est traitée avec ordre et méthode en 8 points.
– Qu’est-ce que les corps flottants ?
– Quelle en est la cause ?
– Comment savoir si les corps flottants sont des signes de problèmes ?
– Que peut-on faire ?
– Qu’est-ce que les éclairs de lumière ?
– …
Les réponses sont claires, d’un niveau de littératie 2/3.
Des mots difficiles ? Ils sont repris dans un glossaire en fin du document.

La mise en page est soignée :
– structure pédagogique avec schémas épurés.
– grande police de caractères : ben oui, le lecteur souffre peut-être de la vue…
– fond bleuté. Apaisant. Davantage que du rouge vif ou une mise en page sapin de Noël.
– document prêt à être imprimé. Le public visé, plus de 50 ans, lit avec plus de facilité sur papier.

La syntaxe de certaines phrases pourrait être révisée ? Sans doute, mais le souci du lecteur est réel : cette version est une révision de celle, déjà satisfaisante, proposée en 2004.
Par exemple, les corps flottants peuvent être très agaçants au début, mais le cerveau apprend peu à peu à ne pas y prêter attention (…) devient Au début, les corps flottants peuvent être agaçants, mais le cerveau apprend à les ignorer.
Ce feuillet 2007 de la Société canadienne d’ophtalmologie, c’est ce dont a besoin Marie, une Marie stressée, qui veut y voir clair, être traitée en adulte, avec sérieux. Merci.

La plupart des écrits en santé sont incompréhensibles pour la majorité des gens.

Ce n’est pas boileau qui l’affirme, c’est l’Institut national de santé publique au Québec, ainsi que les nombreuses études menées depuis 10 ans.
Les brochures destinées au grand public sont souvent rédigées par des experts. Des experts de contenu, comme ici des ophtalmologistes. Vu leur fonction, ces experts de contenu rédigent articles scientifiques, rapports et compte-rendu. Ces documents  s’adressent à leurs collègues : des initiés, des scientifiques. L’attention de ces experts est donc focalisée sur le contenu, et non pas, puisque ce sont des pairs, sur les destinataires.

Les ophtalmologues ne sont pas des guignols – tous les matins, le rédacteur de boileau bénit celui a sauvé son œil gauche – et le contenu produit par les experts est indispensable. Là n’est pas le débat.

Rédacteur de métier

Le fait est que s’adresser à ses pairs est différent que de s’adresser au grand public.
Je suis un expert rédacteur ? Très bien. Cela ne signifie pas que je suis un rédacteur expert, un rédacteur de métier.

Le rédacteur de métier étudie avec soin sa cible, son public – public auquel il n’appartient sans doute pas – : compétences en littératie, intérêts et besoins, milieu social et culturel.
Il utilise ensuite des techniques de rédaction pour communiquer le contenu produit par l’expert.
Pour des documents à large diffusion, le rédacteur de métier consulte un panel de lecteurs. Il met en place des procédures de tests de compréhension. Quitte, si nécessaire, à refondre son texte.
Le rédacteur de métier se voue en priorité à son lecteur. Travail et modestie obligée du professionnel.

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Pour approfondir :
Efficacité communicationnelle
L’évaluation de trois outils de communication grand public sur le monoxyde de carbone
Institut  National de Santé publique du Québec

photo : © eb 
<clic> et la photo est plus belle.

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3 commentaires to “Les ophtalmologues sont-ils des guignols ?”

  1. Godelieve dit :

    Et dire que…
    C’est un ophtamologue qui a inventé l’espéranto!

  2. Etienne B. dit :

    Juste ! Je viens de l’apprendre : parce qu’il était attristé de voir dans son cabinet des polonais, des russes, des allemands incapables de s’entendre.

  3. Francis Baudoux dit :

    Les ophtalmo’s ne sont les seuls guignols.
    Pas mal d’ “informaticiens” le sont tout autant.

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