Il écrit. Il est obscur, il est sérieux. Suis-je nul ?
Juin 21st, 2013 | Par boileau | Catégorie OpinionBâillements et exaspération
Comme vous, on le suppose, boileau lit parfois des textes obscurs si pas incompréhensibles.
Il ne vous parle pas de ces écrits qui le renvoient à juste titre son ignorance : les rudiments nécessaires à leur compréhension lui manquent, par exemple en biologie, en physique, en astronomie.
Il parle plutôt de ces ouvrages ou articles vainement obscurs dont on ne comprend rien ou pas grand chose, à jamais.
Avant, cet hermétisme le laissait abattu, maintenant cela l’exaspère, avant de bientôt en rire. En effet, ne sentez-vous pas, vous aussi, que l’auteur joue de l’obscur ? Et qu’il en jouit ? Il produit de l’hermétique pour asseoir je ne sais quel trouble pouvoir, pour exclure le lecteur de je ne sais quel quarteron d’initiés, pour exhiber l’étonnante taille de son intellect. Et si ce n’était là qu’un refus de partager et l’aveuglement de croire qu’être compris du plus grand nombre c’est être simpliste ou populiste ?
Un exemple ? boileau en a parlé : les phrases anaconda du linguiste Claude Hagège dans son Contre la pensée unique. Elles font sourire. Au début. A la longue, cette pensée spaghetti exaspère. Elle est de plus alourdie par la mention des références, non pas en bas de page, mais au sein des phrases. Et où est donc passé l’index ?
Tout cela est paradoxal quand, pour prôner la clarté du français, on mène ainsi la charge, brillante d’ailleurs, contre la primauté de l’anglais.
Le choix de l’obscur
Sur la Toile, d’autres pestent aussi contre l’obscur.
Le philosophe Onfray parle d’intimidation langagière : il ne faudrait pas qu’une fois les concepts dégonflés par l’esprit de clarté, le lecteur se dise : Mais le Roi est nu !
J’ai la nostalgie de cette époque où la philosophie considérait qu’elle pouvait être profonde, sérieuse, et où elle pouvait faire l’économie de cet espèce de cirque qui consiste à dire : Je suis obscur donc je suis profond. (…)
Pendant des siècles la philosophie ne s’est pas adressée aux professeurs mais aux gens qui avaient envie de vivre mieux la vie qui était la leur.
(Onfray peut irriter, mais ses cours à l’Université populaire de Caen sont clairs et passionnants – sur France Culture à partir du 23 juillet 2012 -).
L’auteur québécois francophone Nadau parle, lui, d’imperceptibles impolitesses et d’une incapacité, non pas à s’exprimer, mais à communiquer. L’idée mériterait d’être approfondie : du XVIIe siècle – voyez Boileau -, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les francophones avaient une profonde éthique de clarté. Ils ambitionnaient d’écrire pour le monde. Pourquoi donc avoir abandonné cette exigence de clarté, cette vision planétaire ? Pourquoi accepter maintenant le jargon et l’hermétique toujours combattus au siècle des Lumières ? Nadau raconte qu’étudiant, afin de les comprendre, il lisait des philosophes français contemporains dans la traduction en anglais. No comment !
Pourquoi donc le français et la pensée française ne sont-ils plus toujours le langage et la pensée de la clarté. Pourquoi l’obscur ?
En France, il faut avoir avoir au moins dix pour cent d’incompréhensible aurait dit Michel Foucault au philosophe américain Searle. Au moins le double, 20 %, pour qu’un livre soit pris au sérieux surenchérissait Bourdieu.
Michel, pourquoi écris-tu si mal ? Ce à quoi Foucault aurait répondu à Searle : « Si j’écrivais aussi clairement que toi, les gens à Paris ne me prendraient pas au sérieux. Ils penseraient que ce que j’écris est enfantin et naïf. »
La reconnaissance intellectuelle en France supposerait donc la capacité à produire de l’obscur. C’est oublier que le clair est plus ardu à écrire.
Arrêtons ici pour éviter de paraphraser un article à lire de Benjamin Pelletier sur son blog Gestion des Risques Interculturels. Il y explique comment la tentation de l’obscur est liée à l’exercice d’un pouvoir et procure une forme de jouissance à son auteur.
Point barre
Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Boileau (1636-1711)
L’Art poétique
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C’est avec grand plaisir que je relis cet article.
Mais je doute que la prose Boileau soit d’une totale clarté pour un grand nombre de nos contemporains.
Je me relis. Je te donne raison.