Ecrire design, c’est gommer. La plupart des adjectifs !
Sep 13th, 2011 | Par boileau | Catégorie ° la phraseLes adjectifs sont soporifiques.
Pas tous les adjectifs, bien sûr. Sont utiles les adjectifs informant sur une caractéristique objective : forme, couleur, qualité…
– Elle a renversé la sauce tomate sur son chemisier blanc.
– L’ambassadeur recherche une concierge trilingue.
– Son père lui a offert un coupé Mercedes miniature.
Lieux communs
Voyez ! certains substantifs aimantent toujours les mêmes adjectifs. Leur association forme un lieu commun. Gonflé d’importance, ce lieu commun assoupit…
– Cet incident déplorable aura de fâcheuses conséquences, dont une surveillance accrue.
– La réalisation de ce projet ambitieux nécessite une vision globale.
– Il a exprimé le souhait légitime de résultats significatifs et probants.
– Je me félicite des changements bénéfiques apportés par cette collaboration harmonieuse.
– Malgré certaines allégations mensongères, il s’agit là d’un véritable exploit. Et c’est un avis partagé.
On croirait lire une machine à fabriquer de la langue de bois.
Et vous le constatez : parfois le lieu commun induit un doute sur l’affirmation.
Effet de mode
En milieu professionnel, les adjectifs se répandent par effet de mode.
Ressassés, ils écoeurent.
Le message ne convainc plus que celui qui l’écrit.
Vous compléterez la liste :
Transparent, transversal, convivial, effectif, informel, interactif, connexe, complexe, stratégique,
problématique, spécifique, authentique, fiable, intégré, performant, impacté …
Hyperbole
L’adjectif peut être hyperbolique. En exagérant la réalité, le rédacteur croit frapper l’esprit du lecteur. Il l’anesthésie.
– des enjeux majeurs
– une nouvelle sensationnelle
– une vue imprenable
– un nombre astronomique
– des travaux pharaoniques
– un travail titanesque
– des effectifs pléthoriques entraînant des pertes abyssales
– des économies drastiques pour remédier à une situation catastrophique
– …
Les clichés portent peu d’information. Ils sont insignifiants.
Les formules usées sont donc à supprimer ou à reformuler : c’est le prix de l’attention de votre lecteur.
Un adjectif ? Prudence !
Les adjectifs sont à utiliser avec réserve et prudence.
boileau conseillerait de viser
– la simplicité, par la suppression de l’adjectif.
Voyez si l’adjectif enrichit l’information. Il ne sert pas à grand-chose ? Gommez-le.
Le propos y gagnera en vigueur.
Il a réalisé un véritable exploit > Il a réalisé un exploit. / Quel exploit !
J’exige des résultats significatifs > J’exige des résultats.
– la fraîcheur, par l’emploi d’un synonyme de l’adjectif ou de l’ensemble nom + adjectif.
Cherchez un synonyme. Évitez le banal, visez la simplicité. Mais, dans tous les cas, restez adapté au contexte :
Un incident regrettable > un incident affligeant / un triste incident, un imprévu, un accroc, une anicroche, une péripétie…
Des allégations mensongères > Des mensonges, des contrevérités, des carabistouilles, des boniments…
Une question problématique > Une question difficile, une difficulté, une complication, une objection, un tracas…
– la mesure, par le chiffrage ou l’explication, en remplacement de l’adjectif hyperbolique
L’hyperbole est vide de sens. Préférez la mesure à la démesure. Immense est vague.
C’est un travail titanesque > Ce travail, c’est 2 personnes à mi-temps pendant 5 jours.
Des économies drastiques ont été décidées > Désormais, les boissons, hormis l’eau et le café, seront payantes.
L’appartement jouit d’une vue imprenable > L’appartement domine l’échangeur autoroutier.
Il s’agit ici moins de gommer que d’avoir le sens de la mesure … ou d’être honnête.
Bref. Un adjectif ? Prudence ! Est-il nécessaire ? Est-il adéquat ?
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photo : © eb
<clic> et la photo est plus belle.
“[…] parfois le lieu commun induit un doute sur l’affirmation.”
Dans la vie non professionnelle aussi : dès qu’une personne utilise un lieu commun ou une convention sociale (voire une tradition), j’ai un doute sur sa sincérité.
Bien vu, bien vu !
“Pas d’adjectifs, ils affaiblissent le style. L’adjectif, c’est comme les bijoux. Une femme élégante ne porte pas de bijoux.” Jacques Chardonne “L’amour c’est beaucoup plus que l’amour.”
http://calounet.pagesperso-orange.fr/resumes_livres/chardonne_resume/chardonne_amour.htm
Bonjour,
Je découvre votre blog. Assez séduit au départ, j’en ressort avec l’impression d’un nivèlement par le bas. Si on suit tous vos conseils (pas d’adjectif, pas de relatives, pas de passif, etc..) alors, ça devient plat. Efficace, certes, mais définitivement fade.
Entièrement d’accord avec vous pour que ce soit à celui qui écrit de faire l’effort, et pas au lecteur. Mais à lui proposer du rien, n’est-ce pas prendre le lecteur pour quelqu’un de moins intelligent qu’il n’est réellement ? L’intelligence étant ici la capacité de comprendre et s’adapter au contexte.
bien à vous.
PH
Merci de votre attention. Et d’avoir pris le temps d’écrire.
Ce blog traite de l’écriture au travail. L’écriture littéraire est un autre monde. Dans les textes pratiques, l’auteur écrit pour informer et fournir des renseignements supposés utiles ou nécessaires. Le cas échéant, ils incitent le lecteur à l’action. Ces textes n’ont pas l’esthétisme, l’émotion et le plaisir comme objectif. Ces derniers peuvent néanmoins être mis en oeuvre comme moyens d’accrocher l’attention.
L’attention – la prise possession, par un effort de concentration, d’un texte, pour le lire, le comprendre et en mémoriser la synthèse – est une énergie rare et coûteuse. Surexploitée au travail.
Les règles exposées visent la clarté, la concision et la simplicité ; bref, en dernière analyse, à économiser ce capital d’attention. C’est, je crois, compliqué.
Fadeur ? Avec une phrase nerveuse, le mot exact, le verbe d’action bien choisi ?
L’intelligence du lecteur ? Je préfère qu’il l’utilise à autre chose qu’à lire ma prose utilitaire.
Bien entendu, respect pour votre point de vue.
Bien à vous.
b.