Une lettre de motivation : avant et après relecture
Mai 5th, 2014 | Par boileau | Catégorie Sélection de billetsMartine, ébéniste
Martine est ébéniste. Elle fabrique des jeux et jouets en bois. Ils sont beaux. Originaux. Le succès viendra, c’est sûr : elle a du talent, elle travaille. Reste le coup de pouce de la chance. Cette chance passera peut-être par cette Haute Ecole qui recrute un professeur d’ébénisterie. Martine croit être à la hauteur du défi. Elle pose donc sa candidature.
Le formulaire à compléter pose cette question, comme une demande de lettre de motivation :
Quelle est votre conception de la fonction d’enseignant en Haute Ecole ?
En réponse, Martine a rédigé ceci :
Active depuis 2003 dans l’enseignement et l’éducation permanente à titre de chargée de cours en filière de promotion sociale, j’ai veillé à compléter ma formation d’ébéniste par une pratique professionnelle régulière depuis l’obtention du graduat en 1998, par l’obtention d’un C.A.P, ainsi que par des formations, rencontres, lectures et autres échanges autour de la pédagogie, l’enseignement, la transmission.
L’enseignement, l’éducation, la transmission sont à mes yeux des missions déterminantes pour l’insertion de chacun dans une société.
Sont pour cela déterminants à mes yeux le savoir et le savoir faire d’un enseignant, qu’ils soient spécifiques à la branche d’activité enseignée ou d’ordre plus général. Savoir enseigner, savoir transmettre, savoir motiver et rendre compte de l’importance de ce qui est enseigné pour le future professionnel des étudiants.
Le fait de travailler dans le domaine de l’ébénisterie, à des fonctions variées et dans toutes sortes de structures, permet un ancrage permanent avec la réalité du métier, les changements de société, la réalité économique et celle du marché de l’emploi. Autant de connaissances importantes à répercuter auprès d’étudiants certes enthousiastes, mais pas toujours au fait de la réalité lorsqu’ils intègrent une formation.
Je suis très attachée à la transmission de valeurs et d’un savoir-faire à travers la fonction d’enseignante, que ce soit par l’apport de techniques pédagogiques, l’échange de points de vue, le développement de savoir être, savoir faire… Autant d’éléments déterminants dans la construction et le renforcement de compétences et de pratiques.
Enseigner au sein de votre établissement comporte à mes yeux une « plus-value » : celle d’avoir été formée au sein d’un autre établissement (l’Institut L* de B*), via une autre filière que des cours du jour (Enseignement de promotion sociale). Ce « background » m’apparaît comme une source supplémentaire de connaissances pour des étudiants, un éclairage supplémentaire au leur.
Parmi les valeurs que je souhaiterais communiquer au sein d’une fonction de maître-assistant au sein de la Haute Ecole F* B* : sensibiliser à l’importance du jouet en bois de qualité, à une exigence professionnelle de résultat, au rôle de chacun dans l’économie.
Martine a expédié à boileau son projet de réponse. Pour avis.
Martine, total respect mais droit au but et autant être franc : tout cela est ennuyeux. Et long ! boileau a lâché prise au troisième paragraphe : le premier ne répond pas à la question, les deux autres sont convenus. Et puis, trop de je je. Trop d’adjectifs, d’adverbes. Des redondances.
C’est bateau. Du bavardage dira le comité d’examen des candidatures, s’il a le courage de lire.
De la langue de bois rigolera quelqu’un.
Dommage, car question travail du bois, Martine…
Ce qu’il faudrait ?
Tout d’abord, bien soupeser la question et prendre le temps d’y réfléchir.
Ensuite du simple, du concis. De la légèreté pour traduire dynamisme et naturel. L’ampoulé anesthésie l’attention.
Le texte devrait communiquer la simplicité, la vision et l’enthousiasme qui transparaissent quand Martine parle de ses jouets et de son métier.
Du structuré, sans verbiage : un enseignant doit être organisé et clair. Bref, du Un, deux, trois, soleil ! Lumineux comme l’est Martine.
Enfin, le jury, il recevra un paquet de candidatures, il lira vite : il appréciera donc un texte aéré encourageant la lecture.
Après un entretien avec boileau, Martine a revu son texte et écrit ceci :
Etre enseignant en Haute Ecole, pour moi c’est trois choses.
1. Transmettre
- un savoir-faire acquis par une pratique professionnelle ;
- mon expérience de la filière et des réalités du secteur de l’ébénisterie ;
cela en utilisant des techniques pédagogiques adaptées aux étudiants et à leurs parcours respectifs.
2. Communiquer des valeurs :
- l’exigence du travail bien fait ;
- l’esprit de curiosité, l’ouverture à d’autres disciplines et centres d’intérêt connexes à celui de l’ébénisterie et du bois ;
- l’appétit de recherche et d’invention.
3. Aider autrui :
- à développer ses talents et donc sa confiance en soi ;
- à jouer un rôle actif dans la société et y être ainsi autonome et responsable ;
- à cultiver son individualité tout en étant solidaire et en s’enrichissant des différences.
Transmettre, communiquer des valeurs et aider autrui à grandir donnent un sens à mon activité professionnelle.
Mieux, non ? Il y a maintenant quelqu’un derrière cette lettre de motivation. Et la réponse de l’ébéniste a presque, par son écriture, le design de ses jouets en bois.
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Merci au modèle inconnu.
Belle réécriture: le texte a beaucoup gagné en impact!
Une chose que j’aurais faite autrement: terminer la première énumération par un point. Pour une lecture plus fluide. Mais c’est un détail 🙂
Merci. Je signalerai ce point à Martine 🙂
J’ai passé une bonne part de ma carrière dans le domaine des ressources humaines :
Comme j’aurais aimé pouvoir lire aussi clair que e que vous préconisez !
Comme je me suis (vainement) débattu contre les falbalas !
Mais vous le savez déjà.
Alors vous ne serez pas surpris que je salue vos conseils.
A vous relire
Merci à vous. Toujours encourageant. J’aime beaucoup le mot « falbalas ».
Pas vainement… Certains en ont pris de la graine.
Portez-vous bien, grand voyageur !
C’est effectivement bien plus clair.
Mais n’est-ce pas un peu trop concis, voire abrupt ?
Cuisine minceur : steak grillé, sel et poivre.
A chacun d’ajouter – , s’il le souhaite, selon sa personnalité, ses goûts et couleurs, surtout ceux supposés du lecteur – une sauce.
Sauce béarnaise, sauce andalouse, beurre et persil… Oui, beurre et persil.
Dans une vie antérieure, boileau appréciait les lettres de motivation laconiques.
Bon ben Martine c’est moi, et j’apprends ce jour que je suis presque en haut de la pile des candidatures reçues. Et acceptées.
Respect, boileau
YESSS !
Et chapeau !