Qui es-tu ? Qui es-tu quand tu écris ?
Juil 2nd, 2012 | Par boileau | Catégorie Notes & notionsD’abord repousser le clavier
Le commandement du Vieux ? Avant donc que d’écrire, apprenez à penser. (Boileau, (1636-1711).
Ecrire c’est d’abord repousser le clavier, déposer le stylo.
La Toile, l’instantanéité de la communication écrite, les nouveaux objets communicants c’est fascinant. Mais l’essentiel demeure, à savoir toujours les 5 mêmes questions depuis Homère, Cicéron… : écrire d’accord, mais QUI dit QUOI A QUI COMMENT et QUAND ?
Voyons la première question : qui ? Qui suis-je quand j’écris ?
Mon identité est multiple
Chacun a son identité privée avec son histoire personnelle, ses goûts et émotions. Cette identité – ma personne – est distincte de l’identité professionnelle. Celle-ci est déterminée par la fonction exercée au travail, la place dans la hiérarchie, les valeurs de l’entreprise ou de l’institution. Personnage et personne ne s’opposent pas – boileau vous le souhaite – mais les traits de l’un sont estompés dans l’autre et inversement.
Avant d’écrire, j’ai à décider : laquelle de mes identités vais-je utiliser ? quelle posture vais-je prendre ? Ma personne ou mon personnage ?
Présenter la bonne carte d’identité
J’écris ? J’adopte l’identité adéquate. Celle-ci modèlera mon vocabulaire et mon ton.
J’écris à des collaborateurs ? Ce sera avec plus de retenue et de contrôle qu’à mes copains. A moins de chercher à terme les ennuis.
L’identité professionnelle implique une certaine distance. Par écrit, pas de familiarités.
Tutoyer ? Bien sûr, pourquoi pas. Mais museler ses émotions et se méfier du lecteur fantôme.
Je dirige une équipe ? Ma fonction exige une posture d’écriture faite de clarté et de fermeté courtoise. Le formalisme peut servir à indiquer l’écart hiérarchique. La rigueur est de mise : toute erreur d’orthographe ou de syntaxe me dessert.
Suis-je mandaté pour écrire des rapports de réunion, de la documentation, des textes commerciaux… ? Rien ne transparaît de mon identité privée. Ces textes, je les rédige, mais un tiers se charge de leur communication ? Je suis alors rédacteur sans être émetteur. Rédacteur anonyme, mon nom est Personne.
Mêler les cartes
La posture professionnelle serait incongrue dans un courriel adressé à un proche ou à un être aimé. Là, l’identité privée exige d’autres mots et autre ton.
Tout le talent est néanmoins de parfois mêler les cartes.
Une amie demande à comprendre le fonctionnement de je ne sais quel bidule ? Autant le lui expliquer avec la précision et la clarté dont je fais preuve en écriture utilitaire, quand j’utilise mon identité professionnelle.
Un collaborateur tombe gravement malade ? Des voeux de prompt rétablissement pourraient lui être adressés. Un de ses proches décède ? Des sincères condoléances seront envoyées.
C’est correct, rien à dire sauf que le ton professionnel manque de chaleur. La souffrance d’autrui impose sans doute de mettre bas le masque du personnage et d’écrire, en tant que personne, des mots de compassion. Les mots justes sont simples. Ils viendront naturellement. Le destinataire ne les oubliera pas.
Prudence
Notre identité privée est parfois dédoublée en diverses identités virtuelles utilisées sur la Toile, dans des messageries ou réseaux sociaux. Se méfier là de tout relâchement.
Vous le savez : les moteurs de recherche sont puissants. Des collaborateurs pourraient trouver et lire des choses qui rayent à jamais une identité professionnelle.
Comment veux-je être vu ?
Vous le savez aussi : les mots que j’utilise, la syntaxe et le ton de mon texte, sa structure et son apparence dessinent mon image et mon identité.
Quelle image de moi veux-je donner ? Un style choucroute me vieillit et me donne une allure vieille France. Est-ce bien cela que je souhaite ? Si je rafraîchissais tout cela ?
Julien écrit concis, clair et rigoureux. Il est perçu comme un poisson froid. Il l’a compris : pour assouplir son image, il utilise maintenant de temps à autre un mot décalé. Ce matin, au sujet d’une réunion déplacée, il a écrit être vaporeux.
Cette nouvelle collaboratrice africaine est mère de 4 enfants. Premier emploi après dix-huit mois de chômage. Certains l’attendaient de pied ferme…
Mais elle sait qu’en écrivant, on dessine aussi son propre portrait : ses courriels techniques en réponse aux questions des clients sont des merveilles de clarté et de précision. Silence dans les rangs. Silence admiratif. Les préjugés sont levés.
Bref
Avant d’écrire, je ferais bien de repousser mon clavier pour répondre aux 5 questions préalables. Dont celle-ci, aujourd’hui : Qui suis-je quand j’écris ? Quelle posture vais-je prendre ?
Ne jamais oublier non plus : L’écriture est un ascenseur social.
________________________________
photo : © eb
<clic> et la photo est plus belle.
Merci à la belle Vanille.
très bien ce billet ; tellement fort qu’il cache encore d’autres questions aussi importantes (voire plus) que la présente ‘qui suis-je’.. Qui est l’autre surtout ? En marketing direct par exemple, cette question est beaucoup plus importante que le ‘moi je’. La segmentation, les goûts de l’autre, ses croyances, les nôtre par rapport à son profil, tout cela est passionnant. Comment boieau ? Cela fera l’objet d’un autre billet ? Bien, bien 🙂
Qui est l’autre surtout ? Oui, cela c’est capital ! Essentiel. Je faisais un tour de chauffe, là, Philippe. Et puis, je trouve que se poser en tant que scripteur est essentiel. En laissant l’ego au vestiaire, bien sûr.
Merci pour tes lectures stimulantes. Va bene.
Bon billet !
Pour l’anecdote, je connais une personne, qui, pour des raisons professionnelles (patron) a du mettre fin à ses activités en ligne… La faute à une trop grande perméabilité personne/personnage. Il erre maintenant, sans nom ni visage, d’un site à l’autre…
J’aime bien la manière dont tu as écrit ceci.
Bonne continuation ! 🙂
J’aime beaucoup le ” Il erre maintenant, sans nom ni visage, d’un site à l’autre…”