Ecrire design, c’est éliminer la démesure, les immense, gigantesque

Juil 13th, 2012 | Par | Catégorie ° les mots

La taille comparée de l'Afrique

Immense : encore un mot vague.

Immense : l’étymologie nous indique que c’est sans mesure ni bornes.
Seuls les qualités et défauts humains, les sentiments et émotions peuvent sans doute être illimités : un chagrin immense, un dévouement immense.
Ce sens d’illimité a évolué vers taille considérable : ma terrasse est immense. Eh oui ! elle fait 16 m2.
Immense est si rebattu, parfois si exagéré, qu’il en est vague et vide de sens.

 

L’Afrique est un continent immense.

Cette phrase, lue je ne sais où, est insignifiante. Cela veut dire quoi immense ? Immense comment ?
Eh bien voici : La superficie de l’Afrique est égale à celle de la Chine, à celle des Etats-Unis, de l’Inde, du Japon et des grands pays européens. Additionnées.
Vous avez bien lu : les superficies additionnées.

Cliquez sur l’image de l’Afrique. Comme les photos de boileau, elle s’affiche plein écran.
Stupéfiant, non ?
Vous imaginiez cela, vous ? Pas moi.
Une image de l’Afrique, une seule image percutante et  notre vision du monde est bouleversée.

 

Notre ignorance en géographie est immense.

Vous connaissez le concept de littératie, à savoir l’aptitude à lire et comprendre des textes écrits. Plus de 45 % de la population lit avec difficulté.

Vous connaissez peut-être le concept de numératie, l’aptitude à comprendre et manipuler les chiffres, à effectuer des calculs écrits ou mentaux. En France, un reportage à la télévision a montré les déficiences d’une partie de la population.

Et les déficiences en géographie ? Le mot est à créer. L’auteur suggère, en anglais, immappancy.  Nous sommes nombreux à être frappés de ce mal.
Comment avoir une analyse correcte des enjeux en Afrique si nous méconnaissons à ce point son immensité et son poids ?

 

Bref, on retient :

La démesure n’a pas sa place en écriture utile.  Immense, tout comme colossal, incommensurable, gigantesque ou minuscule, infime…  sont souvent communs et vides de sens.
Ces termes sont à préciser par des chiffres, par une comparaison. Ou par une image.

– L’Afrique est un immense continent. Sa superficie, en effet, est…
– Nos connaissances en géographie, elles, ne sont pas immenses. Elles sont limitées.

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Image : Un shéma de Kai Krause placée en domaine public pour lutter contre l’ignorance en géographie.

Un livre remarquable : La bataille des cartes. Analyse critique des visions du monde
Michel Foucher, François Bourin Editeur,2011

On lira aussi  Ecrire, c’est séduire. Quand et combien ?

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10 commentaires to “Ecrire design, c’est éliminer la démesure, les immense, gigantesque…”

  1. Ton analyse, pertinente et limpide comme toujours 😉 s’inscrit, au delà de l’ignorance et de l’approximation (qui, tu l’auras remarqué, vont souvent de pair) dans une tendance générale à l’exagération. C’est ce que dénonçait déjà Jacqueline de Romilly (la connais-tu? ses travaux sur la langue française sont aussi accessibles que brillants) il y a une dizaine d’années déjà. Ce que l’on apprécie vaguement on dit qu’on “l’adore”, quelque chose qui est digne d’intérêt sera subitement “génial”. Les jeunes disent qu’ils ont “craqué” (c-a-d perdu le contrôle d’eux-même) ou qu’ils vont “s’éclater” (pour “s’amuser”)…
    Inversement, d’autres mots on perdu de leur intensité. Ainsi l’adjectif “étonné” qui veut dire aujourd’hui “surpris”, signifie littéralement “frappé par le tonnerre”.
    Or, aussi paradoxal que cela peut sembler au prime abord, celui qui fera le plus d’effet sera celui qui en dira le moins pour en suggérer le plus. C’est le principe de la litote (cf. “Va, je ne te hais point!” pour “je t’aime”).
    Alors si nous voulons nous démarquer de ces “exagérateurs”, usons et abusons des “Je ne suis pas contre”, “C’est pas mal… pas mal du tout”, et des “Je ne dis pas non”.
    De plus, ce type de tournures, en laissant planer un certain doute, un certain flou, est, à mon sens, aussi évocateur que raffiné…

    • eb dit :

      Jacqueline de Romilly ? Je connais la grande helléniste sans avoir rien lu d’elle. Je commande son “Dans le jardin des mots”.
      C’est toi qui a relevé, par ailleurs, son “Le pédantisme, est, en général, le paravent de l’ignorance ou de l’imprécision dans la pensée“.
      En linguistique historique, comme exemple de l’usure des mots avec finalement renversement du sens, j’aime bien “formidable” du latin “formido” : épouvante
      Merci Sandrine pour ce commentaire riche et détaillé.

  2. Luis dit :

    “Comment avoir une analyse correcte des enjeux en Afrique si nous méconnaissons à ce point son immensité et son poids ?”

    Immensité, certes. Mais il n’y a pas forcément de lien avec les notions de poids et d’enjeux. Sur ces plans, au contraire, la prudence recommande de rester vague.

  3. Luis dit :

    Rien à voir, mais j’aime bien l’entrefilet “Sortez vos dicos : Villepin entre en campagne” lu sur le blog de Plume à Poil.

  4. eb dit :

    Salut Jacques, Salut Luis

  5. Un mot n’est vide de sens que quand on ne sait pas le remplir. (Je sacrifie ici à l’idée que le mot puisse contenir quelque chose, mais ce n’est ni une bouteille, ni une boîte de conserve, ni une valise, même si on a fabriqué des mots-valise un temps.) Si « immense » donne le vertige, essayez « incommensurable » ou « démesuré ».

  6. J’ai relu tout l’article et j’ai hésité. Dois-je? Je ne sais pas si l’écriture utile est une méthode, une secte, une religion, mais je vois pointer le dogmatisme. J’ai écrit toute ma vie, sans discontinuer, de ma version d’Objectif Lune (adolescent) à ce site qui recueillera mes derniers mots, j’ai appris à écrire et j’ai renié ces faux maîtres. Aujourd’hui la fiction ne m’intéresse plus et, théoriquement, je me situe à l’opposé de celui qui écrit, même si j’y suis tenu, la pensée étant indissociable de son expression – le sémanticien (selon moi) étudie les conditions dans lesquelles l’objet sémantique (un mot, une syntagme, une proposition, une phrase) est « sémantisé », c’est-à-dire par quels moyens nous l’interprétons pour parvenir à la compréhension de ce que nous lisons.

    Il ne me viendrait jamais à l’idée de classer les mots en utiles ou inutiles. Il arrive que, même armé des meilleures sources, je ne puisse interpréter ou gloser un passage. Ex. « la langue est un organisme vivant d’origine empirique ». Trop de mots, pas assez, pas les bons ? le fait est que si j’appliquais un critère comme le vôtre de mon point de vue, je ne pourrais plus lire ce qui s’est écrit en linguistique depuis 150 ans. En outre je ne pourrais lire ni Bergson, ni Merleau-Ponty, ni Foucault, ni Sartre… Ce n’est pas que je tienne à les lire, mais les interdits déclenchent en moi une profonde terreur. Profonde, inutile ? Disons, une terreur tout bonnement. Amicalement. JC

  7. Etienne B. dit :

    Houla ! Je vois poindre le malentendu. boileau se limite à l’écrit en communication professionnelle : donner des avis relatifs à ce type et contexte d’écriture, à savoir écrire pour être lu et compris à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise. Trop d’argent et de temps gaspillés à produire du texte illisible, incompréhensible ou ignorant les compétences des lecteurs visés.
    boileau traite aussi de l’écriture dite utilitaire : mode d’emploi, information grand public (santé…)… On retrouve là le courant plain english.
    C’est donc uniquement dans ce cadre qu’il y aurait utilisation de “Mots inutiles”

    L’écriture littéraire est autre chose. Dire à Proust d’écrire plus concis ? A Rimbaud d’être un peu plus clair dans le Bateau ivre ? Ridicule. On est tous d’accord.
    L’écrit scientifique, philosophique… est également hors champ : comment lire un article sur le boson sans compétences de base en physique ?

    Le tracas c’est de faire du Proust ou du Bergson en communication professionnelle ou utilitaire.
    Un autre tracas, mais là cela devient savonneux, c’est faire compliqué quand il y a moyen de faire clair.
    Vaste sujet : http://boileau.pro/blog/il-est-obscur-il-est-serieux-suis-je-nul/
    Jean-Claude, ma terreur à moi c’est le dogmatisme, l’injonction de transparence en tout domaine et la perte de temps en lecture de textes professionnelles ou utilitaires : j’ai autre chose à lire et découvrir.
    Amicalement bien sûr

  8. Point de malentendu, rassurez-vous. Mais la communication se joue à deux au minimum (et à trois si on se relit), et la phrase écrite n’est pas la phrase que vous lisez. Mais je fais mieux de garder mes digressions pour mon site. Merci de votre accueil. J-C.

    • Etienne B. dit :

      Meuh non,Jean-Claude ! Vos digressions et commentaires sont bienvenus et j’ai appris que d’autres les lisaient avec plaisir.
      1. Merci pour l’eau apportée à mon moulin à propos de “informer” et “essayer de”. Un puissant avocat bruxellois (salut Gilles) m’avait tancé !
      J’aime bien votre idée que certaines significations attachées au mot s’évanouissent avec le temps, avant que ne le mot ne disparaisse lui-même. Ainsi, mon nom de famille “buyse” méritait un plein article dans le Grand Larousse des années 20, avec un dessin en prime : petit bateau destiné à la pèche au hareng… Cela me donnait de l’énergie d’imaginer un aïeul capitaine Haddock affrontant, avec une dizaine d’équipiers, houle, vent, pluie pour ramener les poissons argentés. Dans les versions suivantes du Larousse, le croquis a d’abord disparu, puis l’explication s’est rétrécie. Maintenant, si le mot “buyse” est mentionné, ce n’est plus qu’un tube, un tuyau.
      2. Concernant l’empan, mes lectures m’amènent à distinguer “empan mnésique”, “empan visuel” et “empan de lecture”. D’accord avec vous pour la phrase aisément mémorisable de 16 mots (empan de lecture). Si vous avez la patience de me lire : http://boileau.pro/blog/phrase-anaconda/ D’accord avec vous : l’empan est influencé par la formation de l’individu. Mais aussi par son état physique et mental.

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