Morgue orthographique

Oct 1st, 2012 | Par | Catégorie Opinion

boileau.pro

Sur le fil Twitter de boileau

Une lectrice a placé sur le fil Twitter de boileau cette photo de l’avis scotché à la porte de son épicerie de quartier.

Chère client
Le magasin fermera ces portes
Du 14 out au 15 septembre
– Congés annuelles –

J’aime bien son commentaire : Je ne me moque pas, hein ! Mais c’est rigolo…

C’est vrai, c’est le mot juste : rigolo. Quinze mots, cinq erreurs. Rigolo et charmant. Septembre, pas facile, est correctement orthographié : l’auteur, soucieux de bien faire, a sans doute utilisé un traitement de texte. Il fut sans secours  pour les accords et le Out comique.
Le Chère est cocasse : le magasin est surtout fréquenté par des hommes sérieux, barbus et baraqués.

Nous sommes bien d’accord, personne ici ne se moque : on apprécie notre boucher marocain (allochtone dit-on en Belgique), ses prix et sa qualité. Et puis boileau se rappelle être devenu analphabète au mois d’août, quand il a fermé boutique.

Sur mon mur Facebook

Par contre, boileau n’aime pas trop le ton de certaines publications sur son mur Facebook. Il y a par exemple le Comité Contre la Médiocrité LinguistiqueMouvement informel contre la médiocrité de la langue écrite ou parlée. Contributions par messagerie SVP !
Le les fôtes de francé, on n’aime pas çà mais on préfère en rire ! sonne bizarre.

Les erreurs d’orthographe relevées ou photographiées – surtout en rue – ne sont  pas tristes. C’est vrai : ceux dont le métier est d’écrire pourraient se relire. Les services publics devraient aussi faire un effort. Et en communication professionnelle, transgresser l’orthographe nuit à l’image de compétence.
Mais il tape  fort, le Comité : Médiocrité. Eh bien dis donc…
Quand on pense que plus de 45 % de la population lit avec difficulté
Par bonheur, le Comité, il nous tourne de belles phrases avec plein de mots (36), d’adverbes et de mots mesurés ou choisis : s‘insurger, inviter, suggérer… :
Vous êtes cordialement invités à nous suggérer par messagerie les fautes de français (orthographe, grammaire, syntaxe, fautes d’usage, etc.) contre lesquelles vous vous insurgez tout particulièrement, éventuellement accompagnées de photos ou captures d’écran illustrant ces dernières.

Bon Dieu ! Rien d’autres à faire en ces temps ? Pour un meilleur usage du français ou son apprentissage, rien d’autres à proposer qu’un Comité de salut public ou la collection des bévues ?

Et il y d’autres escouades que celle du Comité  et ses 22.481 amis. Il y aussi l’Ordre de Chevalerie du Saint Bescherelle Groupe de défense de l’orthographe, de la syntaxe et de la grammaire françaises. Ainsi que 0/10 qui publie un recueil de fautes d’orthographe croisées un peu partout en Belgique, toutes plus énormes les unes que les autres.

Cela ne vous fait-il  pas un peu froid dans le dos tous ces amis – dont des insurgés -,  lâchés dans les rues, à l’affût, prêts à mitrailler les fautes  égayant les vitrines, les affichettes ou camionnettes de ceux qui travaillent ?
C’est curieux, ce rapport à la langue française – péché, faute, superbe et mépris. Pourquoi ne pas dire “erreur d’orthographe” , comme on dit “erreur de calcul” ?

Un beau mot

Il y a un mot qui sonne bien : Morgue. Il désigne une Attitude, contenance hautaine et méprisante ( Trésor de la langue française), Orgueil et suffisance (le Littré – BOILEAU, Sat. X. T’ai-je tracé la vieille à morgue dominante ? -)

C’était leur morgue qui les préservait de toute sympathie humaine, de tout intérêt pour les inconnus assis autour d’eux, et au milieu desquels M. de Stermaria gardait l’air glacial, pressé, distant, rude, pointilleux et malintentionné qu’on a dans un buffet de chemin de fer au milieu de voyageurs qu’on n’a jamais vus, qu’on ne reverra pas, et avec qui on ne conçoit d’autres rapports que de défendre contre eux son poulet froid et son coin dans le wagon.
Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1918

Et si, à propos de ces erreurs d’orthographe dans la vie quotidienne,  la morgue, on la laissait là ? Et si on se contentait de trouver cela rigolo ?
Comment fortifier l’amour de la langue – et donner ainsi l’envie de l’utiliser au mieux – si ceux qui prétendent la “défendre” sont hautains et acariâtres ?

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Photos :
– Duke of Sutherland  1910-15, ©Library of Congress
– Congé annuel © Anna Wauters, 08. 2012
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4 commentaires to “Morgue orthographique”

  1. Phil dit :

    J’anime une rubrique sur mon blog sur ce sujet : “Ces fautes me frappent”. Je prends soin de ne ‘tirer’ que sur des cibles choisies en effet. Des grandes institutions, des sites web… et toujours avec un certain décalage. J’admets en premier que je peux moi-aussi commettre des erreurs.

  2. costermans dit :

    Je me suis reconnue dans ces hautains et ces acariâtres, moi qui collectionne les erreurs d’orthographe dans la presse nationale. Je ne sais pas si c’est toujours de la morgue… ou parfois de la lassitude, voire du désespoir. Je ne parle pas de mon épicier marocain (allochtone, allochtone, ouille que je n’aime pas ce garçon !) mais des universitaires, docteurs, profs d’unif., dont je corrige la prose tous les jours. Ou des professeurs de mes enfants qui rendent des commentaires de bulletin pleins de fautes. Et qui dans une interro de français, corrigent le sens mais pas l’orthographe, parce que ce n’est pas une dictée…
    Oui, je suis lasse.

  3. Etienne B. dit :

    Bonjour Dominique, je comprends la lassitude devant la profusion d’erreurs d’orthographe. Je comprends l’exaspération quand elles sont le fait d’enseignants, d’universitaires. Parfois de gros calibre plein de superbe.
    Je comprends tout cela quand, comme vous, on est au front. Ce n’est pas de la morgue cela.
    La morgue, c’est cet élitisme de bazar qui nous fait faire du surplace.
    J’ai besoin de temps pour votre commentaire. J’y reviendrai.

  4. Je suis absolument d’accord avec toi, boileau.

    Formatrice et conseillère en rédaction professionnelle, je préfère de loin partager avec mes lecteurs des trucs et astuces pour rendre leurs textes plus clairs, plutôt que de pointer du doigt les erreurs de langue des uns et des autres. Et ce, même si la correction formelle d’un texte est un paramètre important de son efficacité.

    En outre, tu as entièrement raison de parler d’ “erreur” plutôt que de “faute”: une des manières les plus efficaces d’aider quelqu’un à améliorer son orthographe est de pratiquer la pédagogie de l’erreur.

    Dans ce billet, tu as poussé le “coup de gueule” que je voulais pousser depuis quelques temps déjà: merci. À mon tour: dans un prochain billet, je parlerai de cette technique de la pédagogie de l’erreur appliquée à l’apprentissage de l’orthographe.

    Vive la complémentarité 🙂

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