Lettre d’un massacreur

Avr 17th, 2014 | Par | Catégorie Billet, ~ (f)utile ?

A la citoyenne Bonaparte
Chez la citoyenne Beauharnais
Rue Chantereine n°6,
Chaussée d’Antin, à Paris. Albenga, le 16 Germinal
(5 Avril 1796)

Il est une heure après minuit. Lon maporte une lettre. Elle est triste. Mon ame en est affecté.Cest la mort de Chauvet. Il était commissaire ordonateur en chef de l’armée. Tu la vu chez Baras quelque fois.
Mon amie, je sens le besoin detre consolé. C’est en técrivant à toi seul, dont la pensée peut tant influer sur la situassion morale de mes idées , a qui il faut que jepenche mes peines.
Quesque lavenir ?quesque le passe ? Quesque nous ? Quelle fluide magique nous environe et nous cache les choses qu’il nous import le plus de connoitre ?
Nous passons, nous vivons, nous mourons au milieu du merveilleux. Est il étonnant que les prête, les astrologues, les charlatans ayent profité de ce penchant, de cette circonstance singulièr pour promener nos idés et les diriger au grai de leurs passions ?
Chauvet est mort. Il metait attache. Il eu rendu à la patrie des services essensieles. Son dernier mot a été qu’il partait pour me joindre. Mais oui. Je vois son ombre. Il erre dans lapartement. Il sifle dans laire. Son ame est dans les nuage. Il sera propise à mon destin .
Mais, insensé, je verse des larmes sur lamitié. Et qui me dis que, déjà, je n’en aye a verser d’irreparable ? Ame de mon existence, ecris-moi, tous les courriers. Je ne saurais vivre autrement.
Je suis ici tres occupe. Beaulieu remue son armée. Nous sommes en presence. Je suis un peu fatigue . Je suis tous les jours a cheval.
Adieu, adieu, adieu. Je vais dormir, car le someil me console. Il te place a mes cotes, je te serre dans mes bras. Mais au reveil, helas ! je me trouve tristement loin de toi.
Bien des choses a Baras, a Talien et a sa femme .
BB

boileau.pro

Lettre d’un massacreur. clic droit

 

Napoléon, à 27 ans, était un sacré massacreur de l’orthographe. Mais cette lettre a du souffle : nous mourons au milieu du merveilleux.
Napoléon amoureux maîtrisait ce qui importe : force et clarté d’écriture.
Dans d’autres lettres aussi, quitte à dicter son courrier ou à se faire relire.  Design en écriture.

 

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Cette lettre,  telle qu’ortographiée, est reprise du site Forum Napoléon 1er : Napoléon et son orthographe : à lire, si le sujet vous intéresse.
Stendhal la reprend dans Promenades dans Rome, après correction orthographique, disant qu’elle est presque indéchiffrable.

photo : © eb

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2 commentaires to “Lettre d’un massacreur”

  1. Gaëtan CALMES dit :

    C’est vrai que le massacre est tel que les premières lignes sont difficiles à lire. Voire à comprendre même, sans retours en arrières qui dissuaderaient plus d’un de continuer.
    Pourtant, peu à peu je me suis laissé emporter. Est ce le souffle du texte ? Est-ce que la censure de moult décennies d’académisme rompait ? Est-ce conjugaison des deux ?
    J’ai lu la fin d’un trait et sans gêne. Puis réédité l’expérience tant j’étais heureusement surpris.
    C’est aussi heureux qu’un tel homme ait pu dire ce qu’il avait à dire sans obtempérer au exigences secondaire de la grammaire qui l’eussent contraint au silence.
    C’est d’ailleurs vrai que les exigences académiques d’uniformité orthographique ne datent vraiment que de la République unificatrice. Fut-ce libération ou aliénation ? Le nombre effarant de sujets exclus aujourd’hui du maniement de la langue écrite me fait pencher pour l’aliénation.
    Merci Etienne d’avoir fourni ce matériau d’expérience et de réflexion.

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